Dans le cadre des activités du pôle d’animations de Sainte Lucie de Tallano, le Département de la Corse-du-Sud et sa Bibliothèque Départementale de Prêt, recevait en l’église paroissiale, le samedi 16 décembre 2017, une conférence animée par Henri Santoni, venu présenter les tableaux qui émanent du couvent St François et qui sont attribués au Maître de Castelsardo.
L’artiste
Le Maître de Castelsardo est un peintre anonyme ayant vécu entre le XVe et le XVIe siècle. Il est l’auteur de plusieurs œuvres en Sardaigne, en Corse et en Catalogne.
Son identité est très controversée et entourée de mystère. Certains l’identifient comme l’artiste espagnol Maiorca Martin Tornèr, d’autres pensent qu’il s’agit de Joacchino Cavaro, un artiste de Cagliari.
L’auteur anonyme fut appelé “Maestro di Castelsardo” en 1926 par Carlo Aru qui, en partant de son œuvre dans la cathédrale de Sant’Antonio Abbé à Castelsardo, en traça le profil stylistique.
Contexte historique
À la fin du XIIe siècle, après la bataille entre Gêne et Pise, Gêne, vainqueur, reçoit le royaume de Corse et celui de Sardaigne en échange de la Sicile. Le Pape Bonifacio VIII tente de réaffirmer son autorité sur la Corse et sur la Sardaigne au sein du royaume d’Aragon. Mais Gênes reprendra sa suprématie sur la Corse.
La Sardaigne, qui fait toujours partie du royaume d’Aragon, voir fleurir un courant artistique dont les œuvres se situent entre la peinture d’inspiration ibérique et les nouveautés de la Renaissance italienne et flamande. Les Couvents s’en font les promoteurs par des échanges d’œuvres entre couvents Franciscains.
Le Couvent St François
On peut supposer que de Castelsardo où les franciscains avaient une maison florissante et où le peintre transféra depuis l’Espagne son activité́, quelques œuvres ont été transférées dans les établissements corses du même ordre.
Le “Retable de la Vierge à l’Enfant” et “La Crucifixion” auraient été commandés à la fin du XVe siècle par le seigneur Rinuccio Della Rocca qui fonda le Couvent St François en 1492.
Prosper Mérimée fit, en 1840, la description de ces tableaux en ces termes “les figures des saints aux compositions ascétiques d’un fini précieux sont attribuées aux peintres de l’École du Maître de Castelsardo”.
Un retable en trois parties
“La Vierge à l’Enfant entre des Saints” constitue vraisemblablement la partie centrale d’un retable en triptyque qui à l’origine garnissait l’arrière l’autel.
L’un des volets à disparu représenterait le couronnement de la Vierge. La Crucifixion, quant à elle, constituerait un volet latéral.
En 1908, Don Bernardini, maire de Sainte Lucie de Tallano, obtient pour la première fois le classement de l’œuvre. Les tableaux ont été classés ensuite en 1959 au titre des objets protégés des Monuments Historiques.
Les tableaux ont été restaurés une première fois en 1956 puis en 1998 par les soins de Philippe Duvieuxbourg.
Description
La Crucifixion
Le tableau figure le calvaire du Christ en croix entre la Vierge et Saint Jean. Sainte Madeleine lui baise le pied. Les couleurs, vives, sont peu nombreuses.
Les visages sont tristes et pensifs aux beaux ovales, nez fins et paupières lourdes…
Des détails anatomiques sont très caractéristiques comme la stylisation des côtes dont les pointes forment un collier de boules ou les genoux aux rotules protubérantes.
Les draperies somptueuses sont traitées sculpturalement.
Les fonds architecturaux et le paysage marquent bien le mouvement pictural. Les tableaux moyenâgeux attribués au même artiste présentaient un fond doré (voir ci-contre) alors qu’ici le paysage se décline en perspective, à l’instar de ceux des œuvres des primitifs italiens de la période renaissance.
Le Retable de la Vierge à l’Enfant entre des Saints
Sur le grand panneau de ce triptyque figure en tête une Crucifixion entre la Vierge et Saint Jean.
Au centre, la Vierge à l’Enfant, assise, vêtue d’un riche manteau en damas doré brodé d’un dessin floral et tenant l’enfant nu jouant avec un chardonneret. Deux anges, tiennent un dais rouge.
À gauche Sainte Claire, assise, au dessous Saint Bonaventure debout tient le Crucifix.
À̀ droite, Sainte Lucie porte ses yeux sur un plat et dessous Saint Antoine de Padoue.
Sur la prédelle (partie basse du retable), de gauche à droite : Saint Jean l’Évangéliste, Saint Pierre, au centre le Christ de la Résurrection, puis Saint Paul, et Saint Jacques, l’apôtre de l’Espagne, en chapeau de pèlerin orné de la coquille.
Là aussi des détails sont typiques de l’œuvre de l’artiste : les mentons formant une boule ou les cannelures très fines marquées entre nez et bouche.
D’autres détails marquent la parenté catalane comme la situation du Christ au tombeau au centre ou la technique de cercles concentriques dorés et en relief pour figurer les auréoles ou encore les terrasses en briques derrière Saint Bonnaventure et Saint Antoine de Padoue et le pavage en damiers bicolore.